Articuler travail à distance et travail sur site
Jean-Christophe Brochet DRH d’ENGIE IT
Pour les entreprises et les salariés, la crise sanitaire a prouvé qu’une nouvelle organisation du travail était possible, souhaitable et souhaitée.
La conciliation de deux modes d’organisation de travail, télétravail et travail au bureau, doit être sérieusement considérée. Elle va venir défier l’adaptabilité des entreprises. Une nouvelle conception du travail est en train d’émerger. Elle vient se heurter aux habitudes traditionnelles des organisations se caractérisant par un lieu de travail unique et fixe.
De cette circonstance exceptionnelle, des enseignements peuvent être tirés mais les extrapoler de manière définitive, quant à l’avènement d’une organisation en « full » télétravail ou à un retour sur site à temps complet par réaction à cette période, serait incontestablement périlleux.
La période de confinement a démontré les avantages du travail à distance (le maintien de la continuité d’activité, un gain sur le temps de transport, une meilleure flexibilité du travail), mais a aussi relevé des inconvénients (le manque d’équipements adaptés, la perte du lien social pouvant engendrer de l’isolement, le développement des TMS, l’allongement des durées de travail). La mise en place d’un télétravail généralisé dans un contexte d’urgence a permis de lever certaines idées reçues sur le télétravail, parfois perçu comme un risque en matière de performance.
Une grande majorité des salariés souhaitent continuer de télétravailler même s’ils ont conscience que cette organisation est génératrice de difficultés en raison notamment de conditions de télétravail imparfaites et des conséquences négatives d’une distanciation sociale permanente.
Pour la majorité des entreprises, le télétravail pratiqué avant la crise était précédemment une facilité offerte à des salariés volontaires, bien souvent pour des raisons de convenance personnelle. Il va devenir un standard et va coexister de manière systématique avec le travail au bureau.
Les organisations du travail devront donc être repensées pour permettre une forte complémentarité et une synergie de ces deux modes d’organisation du travail.
La gestion du travail à distance devra être plus qualitative.
Contrairement à ce que beaucoup pensent, le télétravail n’est pas facile à mettre en place. Il présuppose une exigence supplémentaire d’organisation du fait qu’il se réalise au domicile. Il ne peut pas être la duplication à son domicile de l’ organisation de l’activité sur site. Il est essentiel d’effectuer cette distinction afin de maintenir un même niveau de productivité que lors des journées passées dans les locaux de l’entreprise. Ainsi, pour bien s’organiser, il est essentiel de définir à l’avance le temps de travail. Au bureau, l’emploi du temps est généralement divisé entre les heures de travail et les pauses. À domicile, la procrastination peut vite devenir un obstacle sans une bonne organisation. Ainsi, il est judicieux de définir dans son agenda l’heure de début de journée, les pauses et l’heure de la fin du travail.
Dans un mode de télétravail régulier, le matériel dont dispose le salarié au bureau doit aussi être présent à son domicile. L’entreprise peut ainsi préconiser voire subventionner l’achat d’équipements des télétravailleurs (mobilier de bureau, fauteuil ergonomique, casque audio, etc.). C’est d’ailleurs un sujet que les CSSCT ne manqueront pas de soulever pour que les règles en matière de conditions d’hygiène et de sécurité soient appliquées de manière équivalente aussi bien sur le site qu’au domicile.
Les salariés peuvent se voir proposer un autre type d’espace alternatif tel l’usage de tiers-lieux (coworking, corpoworking) pour les salariés ne disposant pas d’un espace suffisant à leur domicile ou n’ont pas la possibilité de créer un espace dédié.
Un modèle d’organisation hybride ne peut se faire sans un soutien de solutions numériques performantes et sécurisées. Tous ces outils et toutes ces connexions à distance mettent aussi les entreprises face au défi majeur de la sécurité informatique pour limiter les attaques agressives sur des équipements qui ne sont plus connectés au réseau d’entreprise mais à internet.
Si l’organisation du télétravail doit être repensée, il en va de même pour le travail sur site. Les entreprises vont vite prendre conscience qu’elles devront créer des conditions favorables pour stimuler les salariés à revenir sur site et rendre le bureau attirant. Le bureau devra apporter une valeur ajoutée pour encourager la présence des salariés au sein de l’entreprise.
Les entreprises vont redéfinir les fonctions du site pour qu’il corresponde à un lieu de rencontres « en chair et en os ». L’organisation du travail en présentiel doit se concentrer sur l’objectif que le bureau devienne un espace d’échanges, de collaboration et de créativité. Les salariés se rendront à leur bureau pour participer à des réunions ou à des séances de travail et pour maintenir des contacts avec leurs collègues. Les salariés devront concevoir l’entreprise comme un lieu où il sera possible de retrouver son équipe, de travailler ensemble et de partager des moments conviviaux.
Les entreprises vont devoir recourir en quelque sorte à une stratégie marketing pour encourager la présence de leurs salariés au bureau :
- Repenser l’architecture intérieure du bâtiment et l’aménagement de l’espace,
- L’attractivité du bureau passe par une qualité de vie au travail accrue (le confort acoustique, les aménagements, la luminosité, la qualité de l’air, le climat social),
- La présence sur site doit désormais privilégier les rencontres, professionnelles et informelles. Il est impératif de créer des lieux propices à ces rencontres mais aussi de proposer de nouvelles activités d’entreprise (team building, brainstorming, ateliers créatifs ou d’idéation, etc.),
- Le bureau doit devenir un lieu « as a service ». Les salariés doivent y trouver des avantages et des services qu’ils n’ont pas à leur domicile et qui facilitent leur quotidien (service de conciergerie, activités de détente, conférence, service de restauration, etc…).
Si les deux modes d’organisation du travail doivent être réfléchis selon leurs enjeux propres, ils doivent être complémentaires pour assurer une l’efficacité globale de l’organisation du travail et une qualité de vie au travail. Pour permettre cette optimisation, plusieurs leviers sont envisageables:
- permettre aux salariés une rotation régulière entre télétravail et présence au bureau qui tiennent compte de leurs rythmes personnels, des événements imprévus et des impératifs de l’entreprise en leur donnant par exemple la possibilité d’aménager leurs horaires et leur temps de présence sur site,
- former les télétravailleurs aux outils collaboratifs préservant le lien social (messagerie, visio, chat),
- laisser une certaine latitude aux salariés dans leur organisation du travail afin de répondre aux attentes de chacun et de moduler la journée selon ses impératifs personnels et professionnels,
- adopter un principe d’aménagement en « flex office » afin de moduler la présence au bureau et d’optimiser les surfaces immobilières,
- développer les services et espaces de travail permettant la synergie des salariés à distance ou en présentiel (salle de réunion en visioconférence, rencontres à l’extérieur de l’entreprise, etc.),
- former les salariés et les managers aux usages hybrides (animation de réunions avec des salariés en salle et d’autres à distance),
- former les salariés à la gestion des séquencements des temps de travail (télétravail, travail sur site),
- former les managers à des pratiques de management rénovées fondées sur la délégation, l’autonomie, la dimension éthique responsable et le développement de leurs collaborateurs.
- les méthodes d’évaluation devront être adaptées. Une évaluation construite sur la base d’indicateurs et de livrables précis, en fonction du métier de chacun, privilégiera la qualité des réalisations au temps passé derrière un écran.
Les changements dans l’organisation du travail sont inéluctables. La vision des salariés et des managers sur le télétravail s’est profondément modifiée depuis mars 2020. Plus personne ne s’imagine être uniquement au bureau, et dans le même temps ne souhaite être à 100 % en télétravail. Il s’agit d’un challenge conséquent qui participera à l’émergence d’un modèle d’entreprise durable, résilient et plus performant.
Négocier le travail dans l’entreprise
David Mahé, Président de Human & Work
Avant de parler d’hybridation entre télétravail et travail, je voudrais partager trois éléments dont nous devons avoir conscience qu’ils placent le télétravail en situation de trésor menacé.
Depuis 15 ans, le télétravail a été toujours un trésor pour la qualité de vie au travail, lié à une certaine liberté, à un bon équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle, avec un vrai gain pour les salariés. Tous les progrès faits depuis des années allait dans ce sens de la qualité de vie au travail et d’un télétravail facteur de protection des salariés. Or, durant la pandémie, nous avons expérimenté des formes de télétravail délétères, où le volontariat a disparu car il est devenu contraint, où l’équilibre vie personnelle-vie professionnelle a été rompu avec 100% de télétravail, où la collaboration et le lien avec la vie en entreprise a été mis en danger.
Second danger, le télétravail s’accompagne d’une forte individualisation du travail. Beaucoup mettent en avant le gain en terme de productivité individuelle. Or, je vois que d’autres se disent que le télétravail met aussi en place des salariés à la carte (je me connecte si je veux, avec les horaires que je veux). Cela pose la question du lien avec le collectif et avec le travail, avec tout ce qui fait le commun au sein de l’entreprise. Le télétravail peut constituer une grande liberté pour ceux qui ont les moyens de travailler à la carte, mais aussi une grande souffrance pour tous ceux qui n’ont pas ces moyens et qui peinent à s’intégrer dans le collectif.
Enfin, nous avons fait cette année un apprentissage accéléré de choses qui influenceront durablement le monde de l’entreprise et du travail. Il y a 18 mois, on considérait que certains emplois n’étaient pas compatibles avec le télétravail et on a constaté que presque tous l’étaient ; nous étions sur des négociations de 2 jours, 3 ou 4 jours par mois et nous avons découvert qu’on pouvait augmenter considérablement ces volumes ; nous pensions que tout le monde était plus ou moins autonome et nous avons découvert des problèmes matériels, d’accès au numérique et de sièges. Nous avons besoin de faire face à la réalité de cet apprentissage accéléré du télétravail.
Parmi les éléments que je souhaite mettre en avant, il me semble qu’il faut arrêter de négocier sur le télétravail mais réapprendre à négocier sur le travail. Le télétravail est seulement un mode de localisation du travail, nous devons reprendre l’opportunité de questionner le travail : à quoi sert le travail ? Comment travaillons-nous dans l’entreprise ? Comment celle-ci décide de s’organiser ? Et dans cette perspective, le télétravail est un levier comme un autre.
En termes d’organisation, de comportement professionnel et de pratiques managériales, il me semble important que l’entreprise ait quelque chose à dire, qu’elle ne soit pas simplement à subir des innovations technologiques et des modes. Si vous interrogez des digital natives de moins de trente ans, ils n’ont pas passé une bonne année. Ils peuvent être à l’île de Ré ou ailleurs, ce n’est pas cela la qualité de vie au travail. C’est d’appartenir à un collectif et croiser des collègues expérimentés qui vous apprennent à grandir. Est-ce qu’on imagine une équipe de foot dans laquelle chaque joueur s’entraîne chacun de son côté ? L’entreprise est aussi un collectif qui a besoin de temps communs.
Il y a par exemple des sujets comme le « on boarding » : comment fait-on pour intégrer des personnes dans le collectif de l’entreprise ? Cette interrogation est valable pour intégrer des jeunes diplômés, pour accueillir la vulnérabilité, le mentorat, l’apprentissage, les politiques de handicap. Si on ne fait pas un effort pour créer du collectif y compris physique, nous auront des difficultés. Autre point, l’innovation. Elle est compliquée à gérer à distance. Il faut des moments, qui peuvent être peu organisés, où les personnes se croisent, débattent, regardent ensemble un objet. Nous n’avons pas besoin d’accords pour organiser la travail à la carte, mais d’accords pour organiser le temps collectif que nous avons à vivre dans l’entreprise. Un bon accord sur l’organisation du travail n’est pas un accord qui va autoriser 2, 3 ou 4 jours de télétravail par semaine ou par mois, mais un accord qui va décrire le moment collectif que l’on va vivre dans l’entreprise. Il y a une lacune sur ce sujet aujourd’hui, une pauvreté dans les accords dans ce domaine.
Finalement, nous ne décrivons pas la façon dont l’entreprise souhaite travailler et nous considérons que ce serait finalement une concession qui serait faite aux salariés en les libérant du télétravail. Le vrai sujet de l’organisation du travail concerne la façon de préserver à la fois l’efficacité de l’organisation du travail et des éléments de qualité de vie, d’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle ; comment je m’épanouis au travail en contribuant au fait collectif dans l’entreprise.
Il ne s’agit donc pas de faire une mise à jour des accords de télétravail, une adaptation de ce qui existait il y a deux ans, mais plutôt de faire un effort de description du travail et de signer, non pas des accords de télétravail, mais des accords sur le travail dans l’entreprise.
Télétravail : comment garantir le droit à la déconnexion ?
Jean-Luc Molins, secrétaire national UGICT CGT
Les enquêtes de la CGT et l’enquête réalisée par l’UGICT auprès de 12000 répondants montrent que le télétravail se heurte à de graves difficultés pour les salariés ; par exemple : Direccte, les agents des services prioritaires travaillent dans de très mauvaises conditions : stress, charge de travail augmentée et cadencée, matériel informatique non performant, des risques psychosociaux sont à craindre.
Au total :
- 33% des répondants se plaignent d’une anxiété inhabituelle,
- 40% d’une augmentation de la charge de travail,
- 78% de l’absence d’un droit à la déconnexion,
- 82% de l’absence de plages horaires de joignabilité,
- 84% d’une absence de prise en charge par l’entreprise des frais entraînés,
- 97% de l’absence d’équipement ergonomique.
Ainsi, selon le baromètre ViaVoice / Secafi réalisé pour la CGT (2020) :
- 64% des personnes interrogées estiment que la pratique du télétravail est insuffisamment encadrée,
- 75% qu’elles ne protègent pas le salarié d’une durée du travail excessive et du droit à la déconnexion,
- à 76% d’entre elles, il arrive d’utiliser leur équipement professionnel sur leur temps personnel,
- 69% souhaiteraient bénéficier d’un droit à la déconnexion.
Dès avant l’explosion du télétravail, différents accords d’entreprises ont été conclus afin de faire en sorte que ce droit soit respecté.
La Poste, accord égalité professionnelle entre les Femmes et les Hommes, 3 juillet 2015
« Les technologies de l’information et de la communication (TIC) font partie intégrante de l’environnement de travail et sont nécessaires au bon fonctionnement de l’entreprise.
Porteuses de lien social, facilitant les échanges et l’accès à l’information, elles doivent toutefois être utilisées à bon escient, dans le respect des personnes et de leur vie privée.
En ce sens, chacun devra agir de la sorte :
- Que l’usage de la messagerie ne puisse se substituer au dialogue et aux échanges physiques ou oraux qui contribuent au lien social dans les équipes et préviennent de l’isolement.
- Que le droit à la « déconnexion » de chacun, en dehors de son temps de travail effectif, soit respecté. L’usage de la messagerie professionnelle ou du téléphone en soirée ou en dehors de jours travaillés doit être justifié par la gravité et l’urgence et/ou l’importance exceptionnelle du sujet traité. Il est rappelé que nul n’est quoi qu’il en soit tenu de répondre aux mails ou messages, SMS, adressés durant ces périodes.
- En dehors des jours et horaires habituels de travail, le rédacteur d’un message devra utiliser les fonctions d’envoi différé. Dans tous les cas, La Poste s’engage à généraliser l’ajout de la phrase suivante à sa signature: « les e mails que je pourrais envoyer en dehors des heures de travail ne requièrent pas de réponse immédiate.«
De respecter l’objet et la finalité des moyens de communication mis à disposition, tant en termes de formes que de contenu (donner la bonne information, au bon interlocuteur, au bon moment). »
Accord transformation numérique Orange, 27 sept 2016.
« Les parties considèrent néanmoins que le droit légitime et nécessaire à la déconnexion n’est pas suffisant car il cherche à contraindre les seuls effets induits par un usage excessif ou incontrôlé des outils numériques mais il ne s’attaque pas aux causes. C’est pourquoi, ce droit s’accompagnera d’une réflexion et de mesures portant sur les causes mêmes des usages excessifs des outils numériques:
- comportement individuel
- organisation du travail*
- absence de formation ou d’évaluation des usages »
« La gestion de la connexion/déconnexion individuelle de ses outils dans le cadre professionnel doit se réfléchir collectivement en prenant en compte l’activité, les nécessités de service. »
« Conformément à la législation en vigueur, la Direction réaffirme que les formations, quelques soient leurs modalités, demandées par l’entreprise ont vocation à être réalisées sur le temps de travail des salariés.
De même en ce qui concerne le traitement du forfait jour :
L’accord collectif préalable de mise en place du forfait-jour doit, notamment, prévoir « les modalités selon lesquelles le salarié peut exercer son droit à la déconnexion » (C. trav., art. L. 2242-17).
Pour s’assurer de l’effectivité du droit à la déconnexion et du respect de la législation en matière de résultat sur la sécurité des salariés, les employeurs recourent à la réintroduction de la référence horaire avec un plage horaire pour éviter les risques et prendre les mesures adéquates. A titre d’exemple, voici ce que prévoit cet accord récent sur le télétravail à Aéroport de Paris pour les cadres en forfait jours :
Accord collectif relatif au télétravail du 7 février 2020, ADP Ingénierie.
« Pour les cadres en forfait jours, vu la particularité de cette organisation du travail – les salariés étant autonomes dans l’organisation de leur emploi du temps – il est préconisé d’appliquer la plage horaire 8h45 – 17h45 pour s’assurer du respect de la vie privée et du droit à la déconnexion des salariés en situation de télétravail et des durées maximales de travail prévues par la règlementation. »
Compte tenu des problèmes nouveaux suscités par le télétravail la négociation européenne est une ressource pour revitaliser la négociation sociale en France sur le droit à la déconnexion dans le cadre du télétravail.
Accord signé en Juin 2020 entre les partenaires sociaux européens
Chapitre 2: Modalités de connexion et de déconnexion :
« Il appartient à l’employeur de veiller à la sécurité et à la santé des travailleurs dans tous les aspects de leur vie professionnelle. Afin d’éviter d’éventuelles conséquences néfastes sur la santé et la sécurité des travailleurs, ainsi que sur le fonctionnement de l’entreprise, l’accent doit être mis sur la prévention. »
Cet accord détaille ensuite les mesures à étudier :
– Des formations et mesures de sensibilisation
– Le respect des règles relatives au temps de travail, au télétravail et au travail mobile
– Des mesures appropriées garantissant la conformité
– L’offre de conseils et d’informations aux employeurs et aux travailleurs sur le respect des règles relatives au temps de travail, au télétravail et au travail mobile, y compris sur l’utilisation des outils numériques
– La clarification des politiques et/ou des accords sur l’utilisation des outils numériques à des fins personnelles pendant le temps de travail
– L’engagement de la direction à créer une culture destinée évitant les sollicitations en dehors des heures de travail
– L’organisation et la charge de travail, y compris le nombre de collaborateurs, sont des éléments clés qui doivent être identifiés et évalués conjointement
– La réalisation d’objectifs organisationnels ne doit pas entraîner de connexions en dehors des heures de travail. Dans le respect le plus total des lois ainsi que des dispositions des conventions collectives et des accords contractuels relatives au temps de travail, le travailleur n’a pas l’obligation d’être joignable pour toute sollicitation supplémentaire de l’employeur en dehors des heures de travail
– Conformément au point précédent, une rémunération appropriée devra être versée pour toute heure supplémentaire travaillée
– Des échanges réguliers entre les responsables et les travailleurs et/ou leurs représentants sur la charge et les méthodes de travail
– Des procédures d’alerte et de soutien
– La prévention de l’isolement au travail
On citera enfin le rapport du parlement européen sur le droit à la déconnexion en date du 21 janvier 2021 et selon lequel :
-Le droit à la déconnexion est un droit fondamental,
-La culture de la « connexion permanente » entraîne un risque accru de dépression, d’anxiété et de burn-out,
-La législation européenne définit des exigences minimales pour le travail à distance,
-Aucune répercussion négative pour les travailleurs qui exercent leur « droit à la déconnexion »,
Eurocadres et la CES ont sollicité la commission également pour une Directive spécifique sur le droit à la déconnexion.
Reconnaître les capacités d’auto-organisation des équipes de travail
Jacques Lauvergne, Président du Groupement des industries sidérurgiques et métallurgiques
Ce qui me frappe, c’est le besoin de réglementer le télétravail que ce soit par la loi au niveau de l’exécutif ou par accord au niveau des entreprises. Ceci a fait passer au second plan la question essentielle de l’organisation du travail. Or ne ferait-on pas mieux de se centrer sur le travail lui-même ?
D’où une réflexion qui est rarement abordée sur la répartition des pouvoirs au sein de nos organisations. Ce que j’observe, dans ce qui s’est passé ces derniers mois, c’est une croissance extraordinaire de l’auto-organisation et de l’autonomisation du travail .La question que je me pose est de savoir comment va-t-on reconnaître ces capacités d’auto-organisation quand on va revenir à des organisations plus classiques .
Il faut aussi souligner le concept de la « proximité distante ». Comment rester proche quand on est à distance ? C’est très difficile. Si on se recentre sur le travail c’est cette question qui prendra de l’importance. Les managers intermédiaires ont de plus en plus de difficultés pour gérer cette question. Le dialogue professionnel de terrain reste encore très en retrait par rapport au dialogue institutionnel alors qu’il devrait être la véritable source d’alimentation de celui-ci.
Le télétravail a peut être permis d’ouvrir de nouveaux champs du possible. C’est une opportunité dans la mesure où l’auto-organisation a souvent permis de mieux faire face à la situation de crise.
Par contre, contrairement à ce qu’a dit un autre intervenant, je pense que tous les métiers ne peuvent pas se réaliser en télétravail. La crise a, de fait, accru le fossé entre cols blancs et cols bleus. Il faudra combler ce fossé mais je ne sais pas encore de quelle manière.
Enfin il faut souligner que la perte du lien social est un danger très important compte tenu de la tendance actuelle à l’individualisation des rapports humains. La perte du collectif est une réelle menace pour le bon fonctionnement de nos organisations.
Des compétences pour manager à distance
Catherine Gay, Consultante en gestion des compétences
Les compétences liées au management à distance sont un sujet qui mobilisent beaucoup d’interlocuteurs avec lesquels nous travaillons actuellement. Pour les managers, le télétravail contraint a créé des situations de travail complètement nouvelles, même s’ils restent dans leur rôle de managers. La mise en place de l’activité à distance qui, jusqu’ici avait pu se faire dans le cadre d’un projet spécifique, s’est opérée cette fois en urgence, sur des effectifs importants et dans un contexte de crise. Cette mise en place s’est néanmoins faite aussi en hybridation avec une activité en présentiel.
Trois dimensions, complètement nouvelles sont apparues. D’abord l’accompagnement individuel à distance des télétravailleurs, et ce qui est nouveau, le télétravail contraint et massif a aussi été le fait des managers eux aussi en télétravail à domicile. Ensuite, l’animation des équipes à distance, qui peuvent être mixtes avec certains travailleurs à distance et d’autres en présentiel sur site. Cela est d’autant plus complexe. Enfin, troisième aspect, le pilotage de l’activité elle-même, qui s’effectue aussi à distance.
Ces situations de travail nouvelles pour des managers requièrent de nouvelles compétences. Bien évidemment, les compétences de management classiques demeurent mais elles prennent une coloration différente et s’accompagnent de compétences complètement nouvelles.
Piloter une activité à distance
Le pilotage de l’activité à distance exige de définir une nouvelle organisation de l’activité qui prenne en compte le télétravail et d’opérer cette définition avec les équipes. Il s’agit d’avoir une organisation crédible et légitimées pour les équipes, en articulation avec le travail sur site. Cette compétence nouvelle sera à l’avenir de plus ne plus importante car l’hybridation travail à distance / travail sur site va encore se développer. Outre les priorités propres à l’activité qui demeurent, il est – et continuera d’être – impératif de prendre en compte des contraintes qui ont explosées : les consignes sanitaires, les décisions liés au chômage partiel, les contextes individuels des membres de l’équipe, le cadre juridique du télétravail. Il est par ailleurs nécessaire de savoir adapter cette organisation en continu, en fonction de l’évolution du contexte et des résultats obtenus.
Ensuite, le pilotage à distance d’une activité requiert une autre compétence vraiment nouvelle, qui porte sur l’élaboration, le choix et l’utilisation des outils de partage et de communication de l’information, qui rendent possible le pilotage à distance d’une activité réalisées par des équipes composées en tout ou partie de télétravailleurs. Il est indispensable de formaliser les nouveaux process (évolutions liées à l’organisation du travail), d’élaborer et de faire utiliser les outils digitaux qui facilitent la communication, la collaboration et la coordination au sein des équipes, d’adapter les outils de suivi et de reporting, les indicateurs de performance et d’améliorer les outils de partage d’informations et de suivi (qui ne fonctionnent pas toujours aussi bien que cela) en fonction de l’évaluation de leur utilisation et des difficultés rencontrées.
S’ajoute à cela la nécessité de définir et d’adapter les moyens et les ressources nécessaires à l’activité en télétravail : équipements informatiques et de bureau.
Prendre en compte les situations individuelles
La situation de travail à distance bouscule aussi le management de l’équipe sur le plan collectif et sur le plan individuel. Il y a nécessité d’adapter les moyens et les ressources nécessaires aux collaborateurs en fonction de leur situation personnelle. Cette année, cette prise en compte des situations individuelles a été plus massive. Cette évolution exige des compétences nouvelles, pour assurer la coordination au sein de l’équipe en prenant en compte les contraintes mais aussi les atouts du télétravail. Cela suppose encore plus qu’auparavant d’être clair et explicite sur les objectifs collectifs et individuels, sur la répartition de la charge de travail, sur la définition des responsabilités et leur adaptation à la situation. Un effort particulier doit porter désormais sur la communication des informations nécessaires à l’équipe, qui sont en revanche plus difficiles à partager et à obtenir. Le suivi de la charge de travail individuelle et collective, qui est beaucoup plus difficile à évaluer, y compris par le collaborateur lui-même et donc à suivre et à répartir par le manager, nécessite des moyens nouveaux. Des critères objectifs sont indispensables en termes de livrables, au-delà d’un horaire de travail qui peut être flou par le télétravailleur lui-même.
Enfin, parmi les compétences liées au management, il faut compter la capacité de mettre en place et d’adapter en permanence les actions qui sont nécessaires au lien social et à la dynamique collective. Animer des réunions à distance avec des rituels et de nouvelles modalités pour accrocher les personnes, pour qu’elles restent en réunion et qu’on ne voit pas seulement des écrans noirs et des micros coupés. Les managers doivent apprendre à organiser des échanges collectifs suscitant l’expression de tous les membres d’une équipe, à favoriser les interactions, la coopération, l’entraide, pendant la réunion et ensuite pour que les échanges se poursuivent et que la transmission de savoir-faire continue de s’opérer. Des temps collectifs sont à créer pour mettre en avant les réussites, ce qui se faisaient auparavant davantage au quotidien.
Intégration des nouveaux et développement des personnes à distance
Le travail à distance pose aussi de nouvelles exigences pour répondre aux besoins d’information, d’explication, de tutorat (un des éléments qui a souffert du télétravail). Cela concerne le fait d’intégrer des personnes dans l’équipe, d’expliquer à quelqu’un qui arrive comment on s’y prend. Il s’agit aussi de détecter et de prévenir les risques, de traiter les difficultés (tensions au sein de l’équipe, démotivation, mauvaise répartition de la charge de travail). Ces besoins se situent sur les plans collectif et individuel
Il y a aussi lieu de conserver une continuité dans les actions de développement des compétences des collaborateurs : la tenue des entretiens, le fait d’ouvrir l’accès à des évolutions professionnelles. Ces aspects ont été mis entre parenthèse et vont demander de nouvelles compétences pour les mettre en place à distance. Les managers disent que cela va leur demander de nouvelles compétences. Dans ce domaine, la relation individuelle de management présente des défis pour prendre en compte les difficultés personnelles et professionnelles des collaborateurs, tout en gardant une distance professionnelle. Dans les entretiens individuels, les difficultés personnelles (enfants à garder à la maison, dépression ) sont imbriquées aux situations professionnelles.
Manager à distance
Christophe Lefèvre, CFE-CGC, membre du Comité Economique et Social Européen
Il faut distinguer entre le télétravail et le « continuité d’activité à domicile » comme on dit à la CFE-CGC, qui se présente en situation de crise sans que les managers aient réellement été préparés.
Dans mon entreprise, qui est une grosse structure de réassurance où je suis DSC, on a mis en place des tutos mais cela ne remplace pas l’expérience et l’échange direct. A la CFE -CGC, les points importants portent sur la régulation de la charge de travail, sur le droit au repos, sur la charge cognitive résultant de la succession des réunions en visio, surtout quand elles sont dans des langues différentes et sur la lassitude résultant de l’absence de rupture (comme la pause café).Le résultat, c’est que les gens travaillent davantage et qu’il en résulte une augmentation très forte de la productivité
Il faut tenir compte que la jeune génération a sur le travail un regard tout à fait différent de celui des aînés. D’où la nécessité d’un regard différent, venant du manager, sur la façon de gérer l’équipe.
Les entreprises ont mis en place des grilles d’appréciation du travail qui valent pour un travail sur place, suivi tout au long de l’année avec la présence du manager. Or, avec le télétravail, il va falloir imaginer une grille d’appréciation différente, et je ne suis même pas sûr qu’elle existe dans mon entreprise.
Autre point : les organisations ont une responsabilité vis-à-vis des managers sur leur capacité à manager à distance et sur la qualité des outils dont ils disposent. On va probablement évoluer vers un mode d’organisation en hybride et il y a encore beaucoup de choses à faire, notamment en ce qui concerne les outils. Or, chaque secteur d’activité est différent. D’où la nécessité d’une concertation entre les partenaires sociaux et les directions d’entreprises, notamment sur les chartes à mettre en place.
Et enfin, pour finir, une observation : au comité économique et social européen, les sujets de conflit se réglaient en bilatérales et en réunion de section, de sorte qu’en réunion plénière, il n’y avait pratiquement pas d’amendements. Or, avec le télétravail, il y en a maintenant jusqu’à 80, ce qui montre le résultat de l’absence d’échanges résultant du confinement.