Le développement massif et contraint du télétravail a fait sauter un certain nombre de verrous : des entreprises se sont équipées en outils numériques, des managers ont découvert que la productivité de leurs équipes ne s’était pas effondrée avec le travail à domicile, des salariés ont apprécié la diminution de leur temps de transport.
Parallèlement, cet apprentissage forcené a aussi montré les limites d’un télétravail à 100% : risque de déséquilibre entre vie professionnelle et vie personnelle, isolement pour les salariés les moins intégrés dans l’entreprise, perte du sens commun et du lien au collectif de travail indispensable à l’innovation et à la réactivité.
L’examen des situations vécues pour les télétravailleurs et leurs entreprises montrent que l’expérience acquise tout au long de la pandémie a besoin d’être discutée et analysée pour être assimilée et constituer un progrès autant sur le plan social que sur celui de l’efficacité. Les remontées venant des entreprises et des salariés eux-mêmes laissent apparaître en effet une grande diversité de situations selon le métier, la culture de l’entreprise, les choix et les conditions de vie de chacun des salariés. Pour certains, il s’agit d’une liberté nouvelle et de la possibilité d’échapper à certaines contraintes ; pour d’autres, c’est le risque d’un repli sur soi et des conditions de travail dégradées compte tenu de conditions de logement inadaptées.
La négociation entre partenaires sociaux sur le télétravail apparaît donc incontournable et urgente. C’est la raison pour laquelle un accord cadre européen a été négocié et conclu dès le 22 juin 2020. Des négociations se sont ouvertes dans de nombreuses entreprises et l’accord européen a été décliné par les partenaires sociaux français à l’automne 2020.
Bien évidemment, la facilité consiste à échanger un encadrement du télétravail (volontariat et réversibilité, droit à la déconnexion et respect de la vie privée, indemnité de dédommagement et équipement bureautique des télétravailleurs) en échange des gains de productivité apportés à l’entreprise par le travail à distance (gains d’espaces de bureau, réduction du temps de transport). Le nouvel équilibre, qui se dessine et qui reste à inventer au cas par cas, demande toutefois à être encadré par des règles susceptibles d’éviter tous les risques d’abus dans un sens ou dans un autre, et ceci tout en ménageant la souplesse nécessaire au respect de la diversité des situations.
Pourtant, la situation est sans doute encore plus complexe. Le développement du télétravail suppose son hybridation avec le travail en présentiel, qui demeurera bien évidemment. De ce fait, des questions nouvelles se posent en matière d’organisation du travail et de compétences, notamment managériales. Les managers devront apprendre à animer une équipe à distance. Certains, peu nombreux, en avaient déjà la pratique, d’autres la découvrent et devront la développer. De nouvelles occasions de maintenir et de développer les liens sociaux devront également être imaginées.
Le télétravail est finalement une forme de travail parmi d’autres et la façon de le prendre en compte, de le développer, de le réguler, est liée à la conception que chacun se fait du travail et de l’entreprise. Le travail, en effet, est essentiel à l’autoréalisation de soi, mais il est aussi le principal élément de sociabilité dans les sociétés humaines et la base de l’œuvre commune qui cimente la communauté humaine que constitue une entreprise. Négocier sur le télétravail, c’est négocier sur le travail lui-même et sur la conception que nous en avons, au sein de chaque entreprise.
Le webinar organisé par l’Institut Erasme le 27 avril a abordé ces différentes facettes en mettant en présence, de la façon la plus ouverte, les points de vue respectifs de DRH, de syndicalistes et d’experts. La transcription des points de vue en présence, sous forme de ce dossier publié par le MagRH, vise à être utile à tous ceux – dirigeants, managers, DRH, représentants du personnel et experts – qui auront à mettre en place les dispositifs ayant pour but réguler au mieux la mise en œuvre concrète du télétravail. Une synthèse des interventions est publiée dans le MagRH du mois de mai 2021 et sont disponibles dans un second article sur le site internet de l’Institut Erasme
- Jean-Christophe Brochet, DRH ENGIE IT, ANDRH Ile de France (Articuler travail à distance et travail sur site)
- David Mahé, Président Human & Work (Hybrider travail et télétravail)
- Jean-Luc Molins, UGICT-CGT (Droit à la déconnexion et respect vie privée)
- Catherine Gay, Consultante gestion des compétences (Des compétences pour manager à distance)
- Jacques Lauvergne , Président du GESIM (Une transformation de l’organisation du travail)
- Christophe Lefèvre, CFE-CGC, Comité Economique et Social Européen (Manager à distance)